Plus l'humanité des Hommes est partagée, plus chacun est riche.

Par Pierre Huault, 
le 4 janvier 2020
Temps de lecture estimé : 6 minutes

Ce serait une conclusion réjouissante que de voir cette sentence se vérifier. Réjouissante en ce qu’elle laisse entrevoir toute l’étendue de possibles radieux pour les humains en général et pour tout un chacun en particulier.

Une humanité partagée, qui se vit simplement au jour le jour dans la proximité, apporte des bienfaits qui nourrissent à leur tour des envies de progrès et d’engagement plus larges encore, pour rendre toujours plus réelles nos aspirations à demeurer en paix avec nous-mêmes et dans la concorde avec notre prochain. Tolérance, volonté, ténacité sont alors des montagnes aimables à gravir surtout quand on sait combien les horizons à découvrir sont merveilleux. Alors on peut entrevoir un ciel clair sur les méandres du fleuve de la félicité.

Très loin de moi l’idée d’introduire ici un quelconque propos à résonance religieuse. Surtout pas. Non !

C’est bien entre humains d’ici bas que les choses se jouent et se nouent. Nul dieu, pas même un demi, encore moins de gourou ni de soi-disant chef descendu d’on ne sait quelle arche de la providence. L’humanité se partage de manière très très horizontale, voire terre à terre. Il n’y a pas de miracle à prévoir, encore moins de messie au calendrier perpétuel de nos attentes.

Soyons pragmatiques et lucides : il n’y a que notre prochain sur lequel on puisse compter. Ce n’est pas si mal, tant il semble qu’à l’usage il ait prouvé quelque robustesse. Le projet, millénaire, est donc bien de se résoudre à être simplement fraternels, de se faire à la haute et bonne idée de construire ce qui pourrait nous approcher plus chaque jour de la meilleure équité possible.

Une bonne piste à suivre pour nourrir ce projet serait aussi de nous rendre plus sensibles à nos semblables, d’être capables de discerner les raisons de leurs joies quand bien même ces raisons ne seraient pas les nôtres et d’affronter les causes et l’ampleur de leur peine quand bien même nous n’aurions aucun remède à leur apporter pour l’heure.

La conscience de l’altérité, une conscience profonde de ce qui fait la matière humaine, de ce qui est le moteur et le fluide vital, source de toute action, est un passage secret vers les profondeurs plus ou moins sombres de nos existences intimes. Apprendre à discerner l’autre, c’est fatalement s’exercer à se regarder quelque peu. Et la boucle est bouclée.

On s’appauvrit infiniment à ne pas porter le regard sur les mondes qui nous entourent, à garder pour soi toute son humanité en s’autosuggérant les bienfaits d’un individualisme généralisé. Cet individualisme qui dérive pourtant dangereusement vers les eaux saumâtres du repli sur soi, sur sa tribu ou sa caste, montre tous les signes d’une nécrose qui finit en suicide collectif.

Mais tout ceci entend qu’il faille mettre les mains dans le cambouis un peu chacun. On le rappelle : pas de druide, pas de formule magique, pas de comptine prophétique. C’est donc bien "un travail" qu’il s’agit de mettre en place, en cercles concentriques de plus en plus larges, ou de moins en moins étroits, selon l’optique. Personne n’attend ici de super-héros, ni que nous sauvions le monde. Même si tout un chacun peut bien y voir un peu de lustre sur son plastron et se croire, à l’occasion, jupitérien.

Non, c’est par des considérations simples et pragmatiques, par des attentions de tous les jours que l’on diffuse, que l’on travaille le mieux à l’émergence latente, de proche en proche, d’un collectif qui se met à regarder le monde autrement, à raisonner autrement, puis à concevoir autrement. Jusqu’à décider autre chose pour réorienter l’équilibre global vers des initiatives de plus en plus inclusives de l’ensemble des humains.

Cela prend du temps, un tel projet. Faut-il pour autant ne pas l’initier ? En a-t-il pour autant moins d’intérêt ? Non, évidemment.

On s’enrichit pourtant tellement à mettre son humanité en partage. Alors quoi ?

Car à l’inverse, nous ne pouvons que déplorer qu’avec un instrument d’une telle puissance positive, ce projet d’humanité en partage reste somme toute à l’état de friche et que trop peu d’individualités affichent clairement leur attachement en ces valeurs d’équilibre et de félicité. Trop peu de monde pour en faire un projet de société, donc une philosophie, une politique, des actes…

Les faiblesses des hommes sont alimentées et exacerbées, pour les plus nantis, par le confort d’un matérialisme confinant à l’outrance, par un pouvoir relevant du féodalisme le plus brutal. On est là dans le grand capital et la frange sommitale du monde, dans une microsociété satellisée, "bunkérisée" et réduite à une forme de parthénogenèse débilitante qui la maintient imperméable au reste du monde, trop immense pour être affronté. Ici on craint la plèbe, on pactise, on complote et on capte 98% du gâteau, à ne vraiment plus savoir qu’en foutre ! Mais on se complaît dans une bonne éducation et des conventions maniérées pour cacher la médiocrité crasse d’âmes profondément desséchées et finalement stériles.

D’autres, disons le gros ventre mou dont nous faisons probablement partie vous et moi, moins bien placés dans la pyramide, sont mus par la crainte de perdre les quelques rares avantages qu’ils ont acquis ou le peu dont ils ont hérité. Cela les reléguerait, à leurs yeux, au rang de déshérités tout en leur ôtant tout espoir de grimper sur cette marche supérieure mais décidément bien étroite. Marche qu’ils convoitent, pour beaucoup.

Enfin, les plus miséreux, les oubliés de tout, les dignes de rien, "les sans dent" comme disait l’un, "la racaille" ou "la France d’en bas" comme disait l’autre, "ceux qui ne sont rien " comme ose encore dire un dernier, les sans terre ou sans refuge, tous ceux-là vivent l’enfer d’un monde dont ils sont privés, écartés du coude. Un monde qu’ils sont souvent les premiers à faire tourner, par leur labeur de soutiers, dans la peine, la chaleur, le bruit et la maltraitance. La plupart du temps pour le confort de ceux qui ont atteint le sommet.

Certains de ces derniers, aventureux pour le moins, oseront même se qualifier de "premiers de cordée". Rien d’étonnant à ce que les dédaignés, vivant à l’ombre du monde dans la hantise de savoir comment ils pourront se nourrir, montrent du ressentiment, une soif de justice jusqu’à la volonté d’en découdre.

Des bas-fonds de la Metropolis jusqu’au sommet éthéré et souvent oisif de la pyramide, le grand, l’immense dénominateur commun est bien la peur.

La peur, entretenue, acceptée ou subie, est la noirceur du monde, l’abîme insondable et le mobile de tous les crimes les plus abjects.

Ainsi, lorsque l’on prononce la phrase "Plus l’humanité est partagée, plus chacun est riche ?", certains, dirigés par cette peur panique qui les accompagne invariablement en toute occasion, l’interpréteront probablement dans le sens inverse de son intention première : ils avanceront que certes, plus l’humanité est divisée (au sens de l’ensemble quantitatif des humains), plus on construit de barrières pour garder son pré carré, alors plus on a de chance de voir sa propriété et sa richesse préservées. Ils assimileront le terme "partagé" au sous-entendu de "partitionné", "différent", "séparé". N’entendons-nous pas trop souvent cette acception du terme : "Sur cette question, les avis restent très partagés" ?

C’est donc bien de la logique dans laquelle on se situe que dépend l’avenir que l’Homme réserve à l’humanité qui le supporte et le caractérise.
Soit les humains l’appréhendent du point de vue du qualitatif et des valeurs propres à leur condition (conscience, connaissance, émotion, affect), soit ils l’abordent sur son versant quantitatif et purement comptable, sans vision plus étendue que ce que le présent leur permet de voir et compter, donc de façon très court-termiste, mécanique, automatique, décérébrée… Finalement inhumaine.

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